
MARC-HENRI ARFEUX
OEUVRES LITTERAIRES, PICTURALES, MUSICALES, PHOTOGRAPHIQUES
Laine de verre

Laine de verre est un recueil inédit composé en 2019. Né du nom et de la tonalité froide, métallique et blanc presque incolore d'un parfum, Laine de verre a d'abord été un titre, une rêverie nordique polaire avant de se développer en une série de dix séquences comprenant chacune cinq poèmes précédées d'une anaphore en variation. Pour autant, Laine de Verre n'a rien d'un système formel auto référentiel, bien au contraire. Il s'agit plutôt d'une célébration poétique d'un monde de paysages et de songes éveillés en train de disparaître, celui du nord tel que je l'ai aimé depuis mon enfance grâce à mes lectures (dont bien sûr Les aventures du capitaine Hatteras) et un film de Paul Emile Victor resté mythique dans ma mémoire, sans oublier certains films d'Ingmar Bergman donnant une part belle à la nature, ni les poètes amoureux ou habitants de ces hautes régions du monde.
Laine de verre est donc un rituel en hommage à l'impalpable beauté en énigme du nord.
En voici donc les deux première séquences, afin d'en exprimer le rythme et le timbre intérieurs.
Mon continent climatique est le Nord,
Impalpable et blanc,
Comme une goutte en mercure.
J’y marche, tout en lisant à nombres ouverts
Les talismans gravés parmi les feuilles,
Les roches et les nuages,
Comme autant de regards
Naissant d’une eau légère
Traversée par le temps.
J’y deviens mince et transparent,
A la mesure des intervalles
Qui me conduisent à la terre pure.
Face au grand large d’une île
Que l’on ne voit,
Derrière le fil de verre de cette heure immobile,
Je contemple la naissance
Indéfinie
De l’effacement.
Suis-je celui qui regarde
Ou celui qui touche
De l’autre côté seul
De l’invisible ?
Ou bien le vide, patient et silencieux
Comme l’immémorial,
Qui vient à moi,
Sans effort,
Sur l’eau calme
De l’absence ?
Tandis qu’en moi s’étend le sommeil,
Un iceberg ivoire traverse les distances,
Selon tous les pelages de ses irisations.
A l’aube,
Je me lèverai, comme un sablier que l’on retourne,
Et, venant à la fenêtre,
Je pourrai le voir entrer dans le port
Avec la fine limpidité d’un souriant.
En lui se lira la jeunesse d’astres familiers
Dont nous caressons chaque soir le léger visage
Sans nous souvenir qu’ils nous devancent.
L’épure d’un matin
Révèle à ton regard
L’immatérielle distance
De ta vie.
Te voici transparent lotus
De la couleur
Sur les eaux nues.
Je ne retiens de ce monde
Que la forme et l’ailleurs,
Mince croissant lunaire
Posé sur l’horizon
Un soir de pâle été sans fin
Où même les vagues s’immobilisent.
Mon continent chromatique est l’incolore,
Dans la pâleur des calmes aériens
Qui se fondent au silence,
Entre gris et rien.
Bougie seule au bord des heures,
Me guide imperturbablement ce monde,
Errant parmi les jeux de l’air,
Ainsi qu’un invisible au regard évasif,
Jardin de vide ouvrant ses floraisons.
Depuis toujours, la fine poussière de l’inédit
Descend parmi ce monde,
Versée dans les pétales qui sont versés,
Les perles séparées tombant d’un fil
Pour épouser tous les axiomes des pures géométries
Qui naissent à la surface de la beauté
Inexplicable et seule
Comme un lever de jour sur le silence.
Sur chaque versant de la fenêtre close,
Le paysage et moi.
Chacun, double mental de l’autre
En un silence.
Lointaine est la maison de ton regard.
Même toi,
Qui suit sa transparence
Au pays d'intervalle,
Sais-tu la route et la clarté,
Le seuil,
Et la révélation de cet instant
Où le non vu
Devient visage ?
Il y a longtemps que l’innommée
Habite
La maison nue dont je m’absente.
Dans ses pièces vides,
Sans fin,
Elle tisse les conditions de mon retour
Selon le pas du devenir.
Dans un monde aussi fin
Que le volume d’un dé à coudre,
Tu es déjà présente,
Admiration de la lumière.
Et le rosier de l’étonnement,
La fumée des visages,
Les mots sans autre forme que l’attente,
Le long chemin de l’heure
Désincarnée,
Dans un parfum d’absence
Qui se souvient.